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Allocution du ministre fédéral des Affaires étrangères Heiko Maas à l’occasion du 5e « German-African Business Day » de l’Association économique germano-africaine, le 5 juillet 2018
Monsieur Liebing,
Monsieur Kannengießer,
Monsieur le Commissaire Muchanga,
Monsieur le Secrétaire d’État Frølich-Holte,
Excellences,Mesdames, Messieurs les membres et invités de l’Association économique germano-africaine,
Mesdames, Messieurs,
Lorsque l’on parle de l’Afrique ces jours-ci en Allemagne et en Europe, il n’est question que de plateformes de débarquement, d’accords de réadmission ou du « que faire ? » des bateaux surchargés de réfugiés et de migrants africains en Méditerranée. Il est possible que l’on exige en outre de combattre enfin plus efficacement les causes de la migration. C’est malheureusement là que s’arrêtent trop souvent sur notre continent les considérations à ce propos.
Je vous le dis franchement : cette façon de voir l’Afrique ne correspond bien évidemment pas à la réalité. De plus, elle ne va pas dans le sens de l’Afrique, pas plus qu’elle n’est dans l’intérêt de l’Europe.
L’un de mes premiers déplacements avait comme destination l’Éthiopie, l’Union africaine et la Tanzanie, et c’était un choix délibéré. Nous voulions ainsi souligner que nous souhaitons établir un nouveau partenariat entre l’Europe et l’Afrique.
Cela concorde d’ailleurs avec les attentes de tous mes interlocuteurs africains qui attendent de l’Europe un véritable partenariat. Qui ne veulent pas être considérés uniquement comme des bénéficiaires de l’aide au développement ou comme point de départ des flux migratoires.
Je ne cherche pas du tout à minimiser la dimension du phénomène migratoire dans les relations entre l’Europe et l’Afrique. Ce serait d’ailleurs assurément présomptueux vu la croissance démographique que connaîtra l’Afrique dans les prochaines décennies. Et il est inutile d’être devin pour formuler cette prévision : tant qu’un Africain ne gagnera que 22 % de ce que gagne un Européen, la migration restera pour nous un sujet de préoccupation, malgré tous les dangers que ces personnes doivent affronter pour rejoindre l’Europe.
En effet, la migration n’est pas un problème isolé, elle est le reflet d’un contexte politique, économique, démographique, social et sociétal.
Réduire nos relations avec l’Afrique au thème des réfugiés et de la migration, cela comporte le risque de perdre de vue les grandes opportunités qu’offre un large partenariat entre l’Afrique et l’Europe.
Je sais qu’en ce qui vous concerne, j’enfonce des portes ouvertes. Car l’Association économique germano-africaine regroupe depuis de nombreuses décennies l’engagement d’entreprises allemandes sur notre continent voisin, incarnant ainsi l’intérêt commun à une coopération plus étroite.
Or nul autre champ d’action ne se prête mieux à cette coopération que le numérique, domaine sur lequel porte justement en priorité ce forum d’affaires germano-africain.
C'est un secteur qui compte de vraies réussites africaines. Au Kenya, par exemple, où des solutions de paiement mobile ont été développées, ou au Rwanda qui œuvre pour la mobilité urbaine grâce à son projet de partage de voitures intelligent. L’enjeu n’est plus de rattraper le développement industriel d’autres économies nationales. Ces idées offrent plutôt la possibilité de sauter des cycles de développement entiers et même peut-être de dépasser ici ou là les économies établies grâce à des innovations africaines.
L’Allemagne peut soutenir leur réalisation. En tant que partenaire, et comme nous l’avons dit non pas en se limitant au rôle de donateur. Car une chose est parfaitement claire : les transferts financiers n’apporteront pas à eux seuls à l’Afrique une croissance durable. Pour assurer cette croissance, il nous faut mobiliser davantage les entreprises, africaines mais aussi étrangères.
Les entreprises allemandes ont une excellente réputation sur la scène internationale. Elles sont considérées, à juste titre, comme des acteurs responsables, à l’action économique durable, et qui pensent en termes de générations et non de gains trimestriels. Là où les entreprises allemandes établissent des relations commerciales sur le long terme ou investissent dans la durée, elles communiquent également leur culture d’entreprise.
Cela signifie concrètement :
• une formation initiale et continue, souvent même basée sur le principe de la formation professionnelle en alternance,
• un traitement juste pour tous les travailleurs
• et le respect des normes environnementales.
Mesdames, Messieurs,
Les entreprises, vos entreprises, contribuent ainsi pour une part décisive à la réputation de l’Allemagne, à notre poids politique et, surtout, à la confiance qui nous est témoignée.
Vous apportez par ailleurs une importante contribution au développement durable des pays dans lesquels vous agissez, et par conséquent à une mondialisation à visage social.
Ce sont également des objectifs majeurs du gouvernement fédéral, pour l’Afrique notamment. C’est aussi la raison pour laquelle un changement de mentalité s’est opéré ces dernières années dans le sens d’un renforcement du soutien à l’économie africaine. En 2017, la présidence allemande du G20 s’est en tout cas fixé sa priorité – en étroite concertation d’ailleurs avec votre Association –, elle a redéfini sa politique africaine et elle a parrainé les « Compacts with Africa ».
Aujourd’hui, cette initiative est un point permanent de l’ordre du jour du G20, et sa mise en œuvre a commencé.
La baisse récente de la contribution propre des entreprises aux garanties Hermes pour l’Éthiopie, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Sénégal et le Rwanda a constitué un premier pas important. L’Association économique germano-africaine réclamait cette mesure depuis longtemps. Et comme vous le voyez, faire preuve de persévérance, ça paie !
Nous utiliserons par ailleurs des fonds de la coopération au développement pour promouvoir les partenariats public-privé et simplifier l’accès aux prêts, notamment pour les PME.
Nous voulons également développer le réseau des chambres de commerce allemandes à l’étranger. Et bien sûr, nos ambassades sont là pour vous soutenir et vous conseiller sur place, pour vous permettre d’entrer en contact avec des responsables, mais aussi pour assurer des échanges intenses sur les conditions politiques et économiques générales dans le pays d’accueil.
Le ministère fédéral des Affaires étrangères a également développé le soutien aux étudiants et aux établissements d’enseignement supérieur africains, ainsi que son réseau d’écoles partenaires en Afrique. Car nous voulons contribuer à ce que la jeunesse africaine puisse mieux exploiter son potentiel. Cet aspect est important pour le développement.
Compte tenu de la démographie – 60 % des Africains ont aujourd’hui moins de 25 ans –, toute autre approche serait désastreuse pour l’Afrique et une catastrophe pour nous en Europe.
Au niveau européen, on procède à un changement de cap : la politique africaine de Bruxelles ne se limite plus, loin s’en faut, à la coopération au développement.
L’Union européenne et l’Union africaine ont conclu récemment un nouveau partenariat en matière de sécurité.
De plus, lors du sommet de l’Union européenne et de l’Union africaine à Abidjan, la Commission a présenté la nouvelle offensive d’investissement européenne pour les pays tiers, qui doit permettre de mobiliser en tout 44 milliards d’euros pour des investissements durables en Afrique et dans les pays voisins de l’Union européenne.
Dans ce contexte, la coopération énergétique joue par exemple un rôle crucial puisque 620 millions d’Africains sont toujours sans électricité. S’il est possible, grâce à la production d’électricité décentralisée, de recharger un téléphone mobile ou un ordinateur portable, cela ne suffit pas bien sûr pour une industrialisation à grande échelle. Et pourtant, le potentiel est énorme, en particulier pour ce qui est des énergies renouvelables comme le soleil, l’eau et le vent.
C’est pourquoi nous nous félicitons que quelques projets d’investissements allemands soient en cours dans ces domaines.
Pour mener ces investissements, il est nécessaire de disposer d’un cadre transparent et fondé sur la sécurité juridique et de planification. Or ces conditions, les décideurs africains les ont eux-mêmes en main. Je ne peux que les encourager car des progrès enregistrés dans l’indice de la facilité de faire des affaires « Ease of Doing Business » du rapport de la Banque mondiale et dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International sont plus parlants que de multiples brochures de luxe.
Mesdames, Messieurs,
Vous connaissez tous mieux que moi le monde des affaires à l’étranger. Cependant, la paix et la sécurité sont des conditions sans lesquelles l’essor économique est tout simplement impossible.
La stabilité de la Somalie a, par exemple, une influence considérable sur l’économie kényenne. Le Nigéria est affecté par les crises dans le delta du fleuve Niger et par Boko Haram. Et les tensions de la guerre civile se ressentent aujourd'hui encore en Côte d’Ivoire.
Mais en particulier concernant l’Afrique, il y a aussi des raisons d’être optimiste.
Au début 2018, le Libéria a connu, notamment grâce à l’engagement de longue date de la communauté internationale, la première transition démocratique depuis des décennies. Une étape décisive pour la démocratie et la stabilité après une terrible guerre civile.
En Éthiopie, un jeune premier ministre encourage la réconciliation avec l’opposition et se tourne courageusement vers l’Erythrée, l'ennemi pendant longtemps.
Et en Gambie, pays gouverné pendant des décennies par un régime autocrate et une main de fer, l’action combinée de la diplomatie et de la pression internationale a conduit à un nouveau départ démocratique.
La volonté accrue de ne pas ignorer les conflits et d’agir ensemble qu’ont manifestée l’Union africaine et les autres organisations régionales africaines ces dernières années a été l’un des facteurs réjouissants à l’origine de ce changement.
L’Afrique se montre ainsi à la hauteur du legs de l’un de ses plus grands fils, Nelson Mandela, qui aurait eu 100 ans ce mois-ci. Dès 1998, il disait à ses collègues africains : « L’Afrique a le droit et le devoir d’intervenir pour se débarrasser de la tyrannie. »
Monsieur le Commissaire Muchanga,
Je me réjouis de voir l’Afrique progresser de manière tangible sur la voie de l’intégration. La zone de libre-échange transcontinentale adoptée lors du dernier sommet extraordinaire de l’Union africaine à Kigali serait un pas décisif dans cette voie. L’Allemagne continuera de vous soutenir activement !
Nous sommes également prêts à nous tenir à vos côtés en tant que partenaires quand il s’agit de stabiliser des pays fragiles et marqués par des conflits ou la guerre civile. La gestion des conflits, la consolidation de la paix et la prévention sont depuis longtemps un signe distinctif de la politique étrangère allemande.
Au Mali, des experts civils et des policiers aident à la mise en place de structures étatiques, et des casques bleus allemands veillent avec d’autres à assurer un environnement stable.
En Somalie, nous soutenons l’intégration des anciennes milices et aidons à la formation des forces de sécurité.
Dans de nombreux autres pays, nous soutenons la mise en place de la police, contribuons en tant que médiateurs à la réconciliation ou favorisons la coopération régionale, par exemple dans la zone du Sahel ou au Soudan.
Lorsque l’Allemagne entrera au Conseil de sécurité des Nations Unies début 2019 comme membre non permanent, nous entendons également mener une concertation étroite avec nos partenaires africains dans cette enceinte. Nous avons déjà commencé depuis longtemps à travailler dans ce sens, également lors de mes visites à New York qui ont été l’occasion d’échanges de vues approfondis avec les ambassadeurs des pays africains. Là aussi, on attend beaucoup de l’Allemagne, et ces attentes dépassent largement le cadre de la coopération au développement !
Nous avons, par exemple, déjà convenu d’aborder en tant que membre du Conseil de sécurité la question du lien étroit entre le changement climatique, la fragilité et la sécurité, comme le souhaitent les pays africains. Car la sécheresse, les mauvaises récoltes ou la pénurie d’eau renferment un grand potentiel de conflit et donc des risques considérables pour le développement économique du continent.
Tout comme la paix et la sécurité sont des facteurs de croissance économique et de prospérité, le développement économique peut contribuer à la prévention des conflits. Il en découle cette question intéressante : comment pouvons-nous garantir la sécurité des entreprises travaillant dans des États fragiles ?
Pourquoi d’autres investissent-ils déjà à nouveau en Somalie ?
Que faudrait-il pour qu’un plus grand nombre d’entreprises allemandes y songent elles aussi ?
Quels pays offrent des possibilités et dans quels autres les risques sont-ils trop grands ?
Il serait bon que nous réfléchissions à toutes ces questions et que nous en discutions avec ceux qui s’y connaissent sur place.
Mesdames, Messieurs,
J’ai parlé tout à l’heure d’un nouveau partenariat entre l’Europe et l’Afrique.
Un tel partenariat me semble nécessaire et urgent parce que le monde autour de nous change très rapidement. Le multilatéralisme, un ordre mondial régulé et le libre-échange sont de plus en plus remis en cause, notamment d’un côté inattendu. Cette fracture traverse « l’Ouest » de part en part. De plus, nationalisme et protectionnisme ont conjoncture depuis longtemps dans nos sociétés démocratiques.
Une chose est certaine : le repli sur soi, les droits de douane et le retrait unilatéral d’accords en vigueur, tout cela touche les Européens au même titre que les Africains. De plus, tout le monde finalement y perd dans un monde dans lequel priment les intérêts nationaux.
Les entreprises peuvent balayer leurs concurrents du marché. Mais l’espèce humaine ne peut survivre qu’ensemble. Vu sous cet angle, la prospérité mondiale n’est pas non plus un jeu à somme nulle.
En tant que voisins, nos destins sont liés. Pour cette raison notamment, l’Europe et l’Afrique ont besoin d’un « partenariat des multilatéralistes ». Un partenariat qui ouvre à l’Afrique de nouvelles opportunités réelles de développement. Et qui se mobilise à l’échelle internationale pour un ordre juste et fondé sur des règles.
Dans l’organisation de la mondialisation, l’Europe et l’Afrique devraient défendre leurs intérêts communs avec bien plus de vigueur et d’assurance. Ensemble, nous représentons plus de la moitié des pays de la communauté internationale ! Si nous parlions d’une seule voix, nul ne pourrait nous ignorer.
Comme le dit un proverbe africain : « Le meilleur moment pour planter un arbre était il y a 20 ans. Le deuxième meilleur moment est maintenant. »
Nous considérons donc que le moment est venu de lancer ce nouveau partenariat entre l’Afrique et l’Europe. Je serais heureux que nous puissions convaincre le plus de monde possible de s’y associer. Vous tous pouvez apporter une contribution non négligeable en ce sens.
Merci de votre attention.