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Allocution de la ministre fédérale adjointe aux Affaires étrangères Katja Keul, lors de l'hommage au Roi Rudolf Manga Bell le 1er novembre 2022 à Duala, au Cameroun
Majestés, Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Le colonialisme a engendré des souffrances inouïes. Il a anéanti les existences d’un nombre infini de personnes en Afrique.
Le roi Rudolf Manga Bell était l’une d’entre elles. Nous nous tenons aujourd’hui à l’endroit même où il a été exécuté, aux côtés de son compagnon Ngosso Din, en 1914. Ils furent exécutés par l’administration coloniale allemande. Au nom du peuple allemand. Mais ce jugement n’était pas juste, c’était une injustice.
En tant que représentante du gouvernement fédéral allemand, je m’incline devant eux. Et je suis reconnaissante de pouvoir commémorer aujourd’hui la mémoire du roi Rudolf Manga Bell avec vous.
Il était scolarisé dans une école allemande au Cameroun. Il vécut plusieurs années à Aalen en Allemagne. Il croyait à l’état de droit et à l’égalité de toutes les personnes devant la loi.
Afin de lutter contre l’expropriation et le déplacement forcé de ses compatriotes, il adressa une pétition au Reichstag allemand. Cela lui valut d’être pendu en ce lieu le 8 août 1914.
Un témoin nota ses derniers mots :
« Vous pendez du sang innocent. Vous me tuez pour rien. Les conséquences seront bien plus importantes. »
D’après tous les éléments dont nous disposons, même en application des normes en vigueur à l’époque, la procédure judiciaire était contraire aux principes de l’état de droit.
Beaucoup en étaient alors déjà conscients.
Paul Levi, un social-démocrate allemand, déclara devant le Reichstag allemand que Rudolf Manga Bell « avait été assassiné en étant innocent ». Un journal publia: « L’assassinat de Bell et Ngosso Din au nom de la justice ».
Cependant, ils furent trop nombreux à se taire.
C’était commun à l’époque coloniale. Et cela resta longtemps ainsi dans la République fédérale.
Nous avons trop longtemps relativisé, voire ignoré la période coloniale en Allemagne. En tant que société. En tant que gouvernement. Et également en tant que ministère fédéral des affaires étrangères.
Car ce ministère était lui aussi impliqué dans ce système d’injustices coloniales systématiques.
J’aimerais être absolument claire sur un point :
Le colonialisme européen était un système injuste.
En mars 1914, l’Association des plantations du Cameroun et du Togo invita le parlement allemand à exproprier le peuple Douala. L’association affirmait ainsi qu’une telle mesure profiterait non seulement aux Européens, mais également à la population sur place ; car les forces coloniales installaient également des canalisations et construisaient des routes. Il n’était pourtant pas question de canalisations et de routes. Il était question d’intérêts financiers et de politique de puissance nationale.
Le colonialisme n’était en réalité qu’une exploitation systématique. Des ressources furent arrachées et des frontières dessinées arbitrairement.
En tant que gouvernement fédéral, nous sommes déterminés :
Nous voulons nous confronter à ce chapitre de notre histoire et mettre fin aux manquements relatifs à son traitement. Ainsi, le ministère fédéral des affaires étrangères a initié un programme de bourses en faveur d’étudiants originaires de pays autrefois colonisés. Les boursiers rédigent des thèses de doctorat portant sur le rôle des autorités allemandes pendant l’époque coloniale.
En outre, de plus en plus de personnes issues de la société civile s’intéressent en Allemagne aux crimes commis par notre pays pendant cette période. Il est justement question de l’histoire du roi Rudolf Manga Bell. Une exposition au musée MARKK de Hambourg y a considérablement contribué.
Les communes allemandes dans lesquelles le roi Manga Bell avait longtemps vécu prennent elles aussi des mesures tangibles afin d’honorer sa mémoire. Ce fut ainsi récemment le cas à Aalen et à Ulm, où Votre Majesté s’est rendue personnellement. Vous avez ainsi conféré une dignité particulière à l’inauguration de la place Rudolf Douala Manga Bell.
En jetant des ponts entre nos cultures, le roi Rudolf représente donc aujourd’hui les valeurs qui nous unissent : la lutte contre le racisme, les actes arbitraires et le droit du plus fort.
C’est donc ensemble que nous devons trouver le moyen d’honorer en toute dignité la mémoire du roi Rudolf, en Allemagne comme au Cameroun.
C’est la raison pour laquelle je suis venue ici pour vous écouter.
J’aimerais que vous m’expliquiez quelles sont vos attentes en matière de travail de mémoire.
Princesse Marilyn, votre visite au ministère fédéral des Affaires étrangères a permis d’amorcer ce processus. Je tiens donc à vous en remercier.
Il s’agit à présent de réfléchir ensemble aux prochaines étapes. Nous ne pouvons pas effacer les injustices. Mais nous ne sommes pas condamnés à rester passifs.
En premier lieu, nous pouvons tenter de reconstituer le procès de l’époque. Pour ce faire, j’ai demandé à consulter personnellement toutes les pièces du dossier disponibles aux archives fédérales. Ce dossier est accessible en ligne. On y retrouve à la fois la pétition de l’Association des plantations du Cameroun et du Togo et une grande partie du dossier d’enquête : des courriers des avocats jusqu’aux procès-verbaux des interrogatoires des témoins.
Le dossier du procès, à proprement parler, ainsi que le dispositif du jugement sont toutefois absents. Je vous promets personnellement que je m’emploierai à continuer de rechercher ces pièces. C’est également l’une des raisons pour lesquelles j’ai rencontré hier la directrice des Archives Nationales du Cameroun lors de ma visite à Yaoundé.
En deuxième lieu, il nous faut constater que nos connaissances de la jurisprudence dans les anciennes colonies sont lacunaires. Nous allons par conséquent commencer à étudier cet aspect de la colonisation afin de mieux identifier les injustices systématiques et de pouvoir les désigner sans détour.
En troisième lieu, nous évaluerons ensemble comment l’exposition hambourgeoise consacrée au roi Rudolf peut également être présentée ici - peut être adaptée aux besoins du Cameroun.
Je serais honorée de pouvoir contribuer à ce projet.
Votre Majesté, je vous remercie, ainsi que l’ensemble de votre famille, pour votre accueil.
Je vous remercie également pour la possibilité exceptionnelle qui m’a été donnée de rendre aujourd’hui un hommage commun au roi Rudolf Douala Manga Bell.
Merci de votre attention.